Il m’a fallu trois ans pour convaincre ma mère atteinte de démence de venir habiter avec moi en Afrique du Sud. Quand elle a su qu’elle pourrait emporter son chien adoré, elle a enfin dit oui. Évidemment, les derniers jours en Suisse, les actes de résistance étaient fréquents : je sortais les valises de la cave pour les placer bien en vue dans l’appartement. Le soir, quand je rentrais, elle les avait à nouveau remisées à la cave. Mais le jour du départ, elle a balayé tous les doutes et pris l’avion sans un seul regard en arrière. De mon côté, je n’ai pas fermé l’œil durant le vol : je me demandais si j’avais pris la bonne décision, si je ne l’exposais pas à des risques inutiles. Ma mère s’est très vite acclimatée, notamment grâce aux soins affectueux qui lui sont prodigués. L’aide-soignante – qui habite chez nous – ne parle pas un mot d’allemand et ma maman ne parle plus que rarement, et qu’en suisse-allemand, pourtant elles s’entendent à merveille. Parfois nous nous disputons, alors elle nous dit que nous devons quitter SA maison. La vie à quatre dans un espace restreint n’est pas toujours facile. Mais le sentiment que la maladie et la distance me volent ma maman a disparu. Malgré mes absences professionnelles, je sens qu’elle est à sa place chez moi. Nous avons des hauts et des bas, et je participe à sa vie comme jamais auparavant. Le « hasard » a voulu que depuis début 2018, je ne sois plus autorisée à rentrer en Afrique du Sud. Je me sens stressée et je m’en veux : je voulais me rapprocher de ma mère, mais nous voilà à nouveau à plus de dix heures d’avion l’une de l’autre. Je l’appelle chaque semaine et je suis toute contente lorsqu’elle reconnaît ma voix. Elle ne s’exprime plus très bien, alors nous « parlons » comme à la maison : au téléphone, nous faisons des sons, on siffle, on chuinte, on grogne. Nous avons développé ce code au cours des dernières années, il nous relie par-delà la distance.
Cristina Karrer (58 ans) passe souvent par l’aéroport de Zurich
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